L’Asie s’impose comme le terrain d’expérimentation privilégié des stablecoins. Tandis que l’Occident avance plus lentement, plusieurs pays de la région accélèrent la mise en place de cadres réglementaires et de projets publics. Le Japon, l’Indonésie et Singapour mènent le mouvement avec un objectif commun : réduire la dépendance au dollar et affirmer leur souveraineté monétaire grâce aux monnaies numériques stables.
Le Japon a pris une longueur d’avance. Depuis juin 2023, une loi encadre strictement les stablecoins. Seuls sont autorisés ceux adossés au yen et émis par des institutions reconnues, comme les banques ou les sociétés fiduciaires. L’objectif est simple : protéger les utilisateurs et encourager l’usage numérique de la monnaie nationale.
Des projets concrets ont déjà vu le jour. Mitsubishi UFJ Trust a lancé Progmat Coin, un stablecoin conçu pour les paiements domestiques et interbancaires. D’autres institutions développent des initiatives similaires, avec l’idée de faire du stablecoin en yen un outil incontournable des paiements numériques au Japon.
L’Indonésie suit une autre voie. Le pays fait face à une dépendance massive aux stablecoins en dollars : plus de 99 % des volumes crypto locaux passent par l’USDT de Tether ou l’USDC de Circle, selon l’autorité de régulation Bappebti. Cette domination inquiète Jakarta, qui redoute une dollarisation croissante de son économie numérique.
Pour répondre, la Banque d’Indonésie développe le Digital Rupiah dans le cadre du projet Garuda. Cette future monnaie numérique de banque centrale devrait coexister avec les stablecoins privés. Elle pourra en même temps renforcer la souveraineté monétaire nationale.
Parallèlement, l’OJK, l’autorité financière indonésienne, a durci la régulation. Les plateformes doivent désormais se conformer à des standards proches du secteur bancaire : gouvernance interne stricte, cybersécurité renforcée et surveillance des flux via l’intelligence artificielle.
Le mouvement dépasse le Japon et l’Indonésie. Aux Philippines, la banque centrale autorise déjà des stablecoins adossés au peso, utilisés pour les transferts de fonds. Un cas d’usage crucial dans un pays où les remittances représentent près de 10 % du PIB.
En Thaïlande, certaines restrictions frappent les stablecoins non autorisés, mais Bangkok explore aussi des usages institutionnels. À Singapour, la Monetary Authority of Singapore (MAS) teste des stablecoins réglementés pour les règlements transfrontaliers.
La tendance est claire : l’Asie du Sud-Est cherche à réduire son exposition au dollar dans les paiements numériques. Elle cherche également à bâtir des cadres réglementés susceptibles d’attirer les investisseurs internationaux.
La mise en place de stablecoins régulés ouvre la voie à une possible « zone stablecoin asiatique », où les monnaies numériques locales seraient interopérables et utilisées dans les échanges intra-ASEAN. Ce modèle pourrait transformer le paysage des paiements régionaux. Et, par la même occasion, réduire le poids des stablecoins mondiaux comme l’USDT.
Certains défis persistent : chaque pays avance à son rythme, l’adoption par le grand public reste progressive, et les géants existants conservent une longueur d’avance. Pourtant, la dynamique est bien enclenchée.
Dans ce contexte, de nouveaux projets émergent. Des initiatives comme SUBBD, qui combinent paiements numériques et innovation décentralisée, montrent l’intérêt croissant pour des solutions capables de s’intégrer dans ce futur régulé. Même à petite échelle, elles confirment que l’Asie attire autant les grandes institutions que les acteurs innovants.
Le Japon, l’Indonésie et Singapour dessinent déjà les contours d’un marché crypto encadré, où les stablecoins deviennent des instruments de souveraineté appelés à remodeler l’équilibre mondial.