Grâce au poids du dollar américain dans les échanges internationaux, le pouvoir de contrôle des États-Unis reste colossal. Le pays ayant à sa disposition des instruments puissants, tels que le système SWIFT qui facilite les paiements interbancaires mondiaux. Mais l’arrivée des cryptomonnaies n’a-t-elle pas annoncé la fin de ce pouvoir de contrôle absolu ? Les enjeux sont aussi importants pour les nations puissantes économiquement, qui doivent protéger leur pré carré, que pour les nations émergentes, qui voient là un outil d’émancipation.
Pour les États économiquement dominants, la maîtrise du développement des cryptomonaies est un enjeu à la fois économique et technologique : il s’agit de garder la maîtrise de leur puissance financière, mais aussi de rester dans le peloton de tête dans la course à l’innovation technologique.
Pour les États plus faibles, les cryptomonnaies sont vues comme une échappatoire possible au dollar américain, car les États-Unis continuent de dominer le système financier mondial malgré les coups de boutoir que leur portent leurs principaux concurrents, à commencer par la Chine.
À ces États relativement faibles s’ajoutent ceux pour lesquels les cryptos sont vues comme une façon possible d’échapper aux sanctions internationales. C’est dans cette optique que l’Iran, objet de sanctions économiques depuis 1979, qui sont devenues drastiques à partir de 1995, a officiellement légalisé le minage de Bitcoin sur son territoire en 2019.
Ces stratégies témoignent toutes de l’urgence qu’il y a, pour chaque État, à maîtriser le développement des cryptomonnaies.
Les cryptomonnaies présentent des atouts évidents pour favoriser la souveraineté économique des États.
- Autonomie des échanges. En rendant possibles les transactions directes, les cryptos permettent de se passer des intermédiaires bancaires et donc d’ignorer, dans une certaine mesure, les régulations internationales.
- Transparence et traçabilité. En facilitant le suivi des transactions, la blockchain favorise la lutte contre la fraude et le blanchiment.
- Résilience face aux sanctions. Comme on l’a dit, les réseaux décentralisés de la crypto permettent à des pays de contourner les sanctions internationales.
Aussi attrayant que soit ce tableau, bien des obstacles demeurent, qui sont autant de mises en garde pour les États qui seraient tentés de voir dans la crypto la solution à tous leurs problèmes.
Possible outil de souveraineté, les cryptos sont également sensibles à des facteurs qui doivent être pris en considération.
- Volatilité élevée. La fluctuation rapide des cours ne favorise pas la confiance des marchés et rend les cryptos difficiles à utiliser pour le commerce quotidien.
- Infrastructures technologiques. Le minage, la conservation et l’échange nécessitent l’installation, l’entretien et la protection de systèmes performants. Les investissements et les compétences que cela nécessite sont un défi pour les pays émergents.
- Réglementation et contrôle. Si les cryptos sont décentralisées, les plates-formes d’échange, elles, ne le sont pas et peuvent être soumises à des pressions, voire à des sanctions.
- Risques liés aux cyberattaques. Une illustration flagrante des fragilités d’un système financier qui reposerait sur une monnaie numérique.
Ces quelques limites expliquent pourquoi les États, s’ils continuent la nécessaire course à la maîtrise des cryptomonnaies, n’en avancent pas moins prudemment et mettent en place des outils de contrôle.
Le développement de monnaies numériques relevant des États est-il une solution de stabilité ?
Ces CBDC (Central Bank Digital Currency) sont autant de monnaies souveraines numériques qui ont pour vocation de conserver les avantages technologiques des cryptos tout en restant sous la supervision directe des banques centrales.
- La Chine en a été pionnière avec le lancement du yuan numérique en 2020. L’objectif est double : mieux contrôler le système monétaire interne et renforcer l’influence internationale du pays.
- La Russie, avec son rouble numérique, a montré qu’une crypto maîtrisée constituait une solution solide pour faciliter les transactions transfrontalières et contourner les sanctions économiques occidentales.
- Du Nigéria (e-naira), à la Suède (avec e-krona) et aux Émirats arabes unis (avec l’EmCash) en passant par tous les continents, d’autres pays sont dans des dynamiques similaires de recherche et d’innovation.
À terme, le système financier mondial ne risque-t-il pas d’être encore plus fragmenté ? Voilà pourquoi même les États les plus intéressés aux avantages offerts par les cryptomonnaies s’abstiennent d’avancer autrement qu’avec prudence.
Si les cryptomonnaies constituent un levier prometteur pour renforcer leur souveraineté financière, la maîtrise de cette révolution ne pourra être acquise sans un minimum de collaboration internationale. Mais qui collaborera avec qui, dans quelle mesure et avec quelles conséquences ? C’est ici que sont soulevées de nombreuses questions dont nul n’a la réponse, justifiant la vigilance à propos de ce qui est un enjeu à la fois économique, politique et diplomatique.
